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Interprète des sciences

L’avenir énergétique est un projet commun, estime Christian Schaffner. Il dirige l’Energy Science Center à l’ETH Zurich et nous parle dans cette interview de potentiels, d’innovations et de confusion linguistique.

Publication le 4 décembre 2023 Durée de lecture 6 min

Monsieur Schaffner, qu’est-ce qui vous passionne dans votre travail?

Nous rassemblons les différentes disciplines pour mener des recherches conjointes. Les principaux défis des systèmes énergétiques ne peuvent pas être résolus de façon cloisonnée. Ni les ingénieur·e·s en mécanique, ni les économistes, ni les physicien·ne·s ne peuvent trouver une solution globale à la problématique énergétique. Nous ne pouvons l’atteindre que tous ensemble. C’est cette collaboration interdisciplinaire que permet l’ETH, et cela me passionne.

Jusqu’ici, quelle a été pour vous la découverte la plus surprenante?

L’isolation des bâtiments, la domotique, le réseau électrique, le réseau de gaz, le réseau de froid, les systèmes de stockage: dans tous ces domaines, il y a beaucoup d’idées et de projets passionnants. Mais le plus grand potentiel se trouve dans la conjonction de tous ces systèmes. Ma plus grande surprise a été la complexité de ce processus. Ici, des mondes s’entrechoquent, car les scientifiques ne parlent souvent pas la même langue.

Auriez-vous un exemple?

En ce qui concerne la modélisation des marchés de l’énergie à venir, nous parlons d’un système dynamique. «Dynamique», cela se joue à quelques secondes près pour les ingénieur·e·s. Par contre, pour les économistes, il s’agit d’années ou de décennies. Associer ces mondes est l’un des grands défis de notre avenir énergétique.

Un autre de ces défis est la stratégie énergétique 2050. Selon vous, quelles sont ses chances de réussite?

Qu’entend-on par réussite?

Qu’est-ce que cela signifie pour vous?

Pour ma part, je ne mesure pas tant le succès de la stratégie énergétique par l’exactitude de sa mise en œuvre selon les prévisions que par les innovations qui en découlent.

L’innovation est synonyme de succès?

Ce sera bien sûr un succès si l’innovation est stimulée, et si nous pouvons montrer ce qui est possible pour un prix raisonnable! La Suisse a un grand potentiel à cet égard. Nous avons là l’opportunité d’exporter l’innovation suisse au niveau mondial et d’agir en tant que pays pionnier. Bien sûr, cela ne se fera pas en quelques années, mais la Suisse a déjà montré qu’elle en était capable. De nombreuses innovations, par exemple dans la technique du bâtiment ou dans les nouvelles pompes à chaleur, ont vu le jour pendant et après la crise pétrolière dans notre pays.

En tant que membre du comité d’investissement du fonds Smart Energy pour l’innovation d’Energie 360°, vous avez également un aperçu de la pratique: comment fonctionne l’innovation au sein des start-up?

Il y a actuellement de nombreuses start-up passionnantes dans le domaine de l’énergie, dont certaines de l’ETH Zurich. Elles ont la possibilité de mettre de nouvelles technologies sur le marché dans un délai relativement court. C’est cette dynamique qui rend les choses si passionnantes, car nous pouvons alors observer ce qui fonctionne, mais aussi ce qui ne fonctionne pas.

Quelles innovations pourraient révolutionner l’approvisionnement en énergie dans les années à venir?

Il y en a quelques-unes. Mais les grandes innovations, je ne les attends pas du tout de la part de technologies isolées. Elles viendront plutôt de leur regroupement. Comment les différentes composantes de notre approvisionnement en énergie peuvent se parler les unes aux autres et ainsi mieux collaborer?

Donc, vous faites l’interprète non seulement entres les sciences, mais aussi entre les systèmes?

Oui, ça va dans ce sens. Avec l’approche dite du centre énergétique, nous considérons le quartier du futur dans sa globalité: de l’infrastructure existante à la consommation d’énergie, en passant par les bâtiments. À partir de toutes les connaissances acquises, nous développons dans un projet de recherche de grande envergure un outil qui va calculer quand et comment les différentes énergies pourraient être utilisées pour que la synergie soit optimale. Cela permet d’augmenter considérablement l’efficacité énergétique.

Comment cela fonctionne-t-il précisément?

L’approvisionnement en énergie optimal d’un bâtiment varie en fonction des circonstances extérieures et de la saison. Parfois, il est judicieux de produire de la chaleur à partir d’électricité; d’autres fois, il vaut mieux transformer l’électricité en gaz afin de pouvoir la stocker. Ce que l’on cherche, c’est un système de systèmes qui détermine quand il faut produire telle ou telle énergie et avec quelle source. Il est par exemple possible de récupérer de la chaleur estivale pour l’hiver ou de stocker le froid hivernal pour l’été.

Quand de telles idées pourraient-elles être mises en œuvre?

Cela ne se fait pas du jour au lendemain, notamment en raison des longs cycles d’investissement dans le domaine de l’énergie. Notre travail ne sera probablement pas vraiment ancré dans la pratique avant 10 ou 20 ans.

 

Portrait

Christian Schaffner dirige l’ Energy Science Center de l’ETH Zurich depuis 2013. La plateforme permet la collaboration interdisciplinaire de plus de 50 chaires dans neuf départements de l’ETH Zurich. En tant que partenaire de l’Energy Science Center, Energie 360° encadre régulièrement des mémoires de master et participe à différents projets. Christian Schaffner est membre du comité d’investissement du fonds Smart Energy pour l’innovation d’Energie 360°.

Comment relier les différents systèmes?

Il s’agit avant tout de données et de la manière dont celles-ci peuvent être utilisées. L’Internet des objets, c’est-à-dire la connexion des objets à une sorte d’Internet dans lequel ils peuvent puiser des informations de manière autonome, va beaucoup faire bouger les choses, tant dans les bâtiments que dans nos réseaux énergétiques.

Que faut-il pour que de telles solutions smart energy puissent s’imposer?

Ce que nous avons déjà, ce sont des solutions intelligentes dans les bâtiments individuels ou dans les réseaux de distribution. Il s’agit à présent d’échanger des données entre les bâtiments et les réseaux. Cette étape nécessite des innovations techniques, mais elle apporte surtout son lot de questions et de défis réglementaires. Quelles données sont échangées? Qui y a accès et qui est souverain dans la régulation des systèmes? Outre les innovations techniques nécessaires, nous avons un grand besoin de clarification dans ce domaine.

Les innovations sont un moteur pour l’avenir énergétique. Qu’en est-il des technologies éprouvées? Quel rôle le gaz naturel tient-il encore?

Le gaz naturel assume un rôle important sur plusieurs plans, surtout dans une période de conversion. Les centrales à gaz présentent par exemple de nombreux avantages par rapport aux centrales à charbon: le gaz émet nettement moins de CO2 et presque pas de particules fines, il est plus flexible dans son utilisation et, de surcroît, cette technologie est moins gourmande en capitaux.

Et après la période de conversion?

À long terme, il n’y a pas d’autre solution que de parvenir à un approvisionnement en énergie neutre en CO2. Nous devons nous éloigner des combustibles fossiles, ce qui vaut également pour le gaz naturel. Mais les réseaux de gaz ne transporteront plus seulement à l’avenir du gaz naturel fossile; nous parlons ici de biogaz, de Power-to-Gas, d’hydrogène.

Quelle importance accordez-vous au biogaz?

Pour la Suisse, le biogaz est un élément important de la stratégie énergétique et de l’avenir de l’approvisionnement en énergie. Nous devons utiliser les ressources disponibles. Certes, il y a encore de la marge, mais la biomasse n’est pas illimitée.

Les nouvelles technologies telles que le Power-to-Gas repoussent sérieusement ces limites.

En effet. Il s’agit clairement d’une technologie prometteuse pour l’avenir. Ce procédé pourrait résoudre le problème du stockage à long terme de l’électricité renouvelable. Nous pourrions ainsi stocker de l’énergie renouvelable en été pour l’hiver. Le grand défi est la rentabilité. Des projets pilotes comme la collaboration entre l’Institut Paul Scherrer et Energie 360° dans l’installation de traitement du biogaz de Werdhölzli sont à cet égard très intéressants.

Comment convaincre les consommateurs·trices finaux d’adopter un comportement plus durable?

C’est une question passionnante. De nombreuses enquêtes et projets de recherche tournent autour de cette problématique. Il s’agit en premier lieu de l’acceptation, car les propriétaires ne sont guère incités à rendre leur système de chauffage plus efficace. Il faut donc des incitations supplémentaires, comme le confort supplémentaire apporté par un meilleur climat ambiant. Les installations de démonstration sont également importantes. Nous devons proposer des solutions innovantes clés en main et sans risque. Le contracting énergétique proposé par Energie 360° aux gros clients serait également intéressant pour la clientèle privée. En proposant des solutions innovantes sans risque ni effort supplémentaire, nous pouvons accélérer la diffusion des innovations et soutenir ainsi une action durable.

Professionnellement, vous vous préoccupez presque exclusivement de durabilité. Quelle importance revêt-elle pour vous à titre personnel?

Elle est omniprésente dans ma vie quotidienne: nous achetons des produits régionaux et de saison, et nous réduisons notre consommation de viande. Nous veillons aussi à vivre en préservant les ressources. Cela commence par des décisions importantes comme le choix du logement. Nous avons choisi notre lieu de résidence de manière à ce que les trajets quotidiens soient courts et faciles à effectuer en transports publics.

Qu’est-ce que le fonds Smart Energy pour l’innovation?

Le fonds Smart Energy pour l’innovation d’Energie 360° soutient des start-up du secteur de l’énergie en leur fournissant des capitaux et de l’expertise. L’accent est mis sur les innovations dans les domaines de l’énergie, des technologies propres, des villes intelligentes et de la mobilité. Le fonds offre un soutien financier dans les premières phases de l’entreprise (de pre-seed ou late seed à early stage) avec un besoin en capital de 0,5 à 3 millions de francs.

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